dimanche 11 août 2019

Les intelligences multiples à l’épreuve des neurosciences




En bref :

  • Les neurosciences nous éclairent sur les processus d’apprentissage efficaces mais ne suffisent pas pour assoir une pédagogie. De même, une méthode d'apprentissage peut rester inefficace si elle n'est pas éclairée par une connaissance fine sur la manière dont les élèves ont d'apprendre. La réponse doit se trouver à la lumière de trois axes : les apports des neurosciences, les sciences du comportement et la science de l’intervention.
  • L’idée qu’il existe 8 formes d’intelligence est discutable car non prouvée scientifiquement. On parle davantage de préférences d’apprentissage.
  • Isoler un style d’apprentissage pour en construire un enseignement spécifique chez l’apprenant est contreproductif.
  • Utiliser ces différentes modalités d’enseignement pour un apprentissage multimodale, où différents stimuli sont associés, peut se montrer très efficace.

Dans l’ordre ...
  1. Les trois pôles de la pédagogie
  2. Ce qui pose problème avec les intelligences multiples
  3. Les + de la théorie des styles d'apprentissage
  4. Vers une pratique réfléchie
  5. Le pourquoi et le comment ?

Après avoir publié, en 2016, un article présentant les intelligences multiples (à retrouver ici), il apparaît opportun de refaire un point afin d’en proposer un regard critique après quelques années de pratique et de nouvelles connaissances.

L’écoute du podcast de "La tête dans le cerveau" sur les neuromythes (à retrouver ici), m’a interrogé car je n’aboutissais pas aux mêmes conclusions malgré tout l'intérêt que j'y ai trouvé. Pour rappel, les styles d’apprentissages, que l’on peut rattacher aux intelligences multiples de Gardner, consistent à considérer qu’il y a plusieurs « talents » dans chaque apprenant, différentes sensibilités aux apprentissages. Une taxinomie a pu être organisée où chacun peut y retrouver ses préférences : verbales, logicomathématiques, visuelles, kinesthésiques, musicales, ... D’après plusieurs études, les neurosciences expliquent que dissocier les modalités d’apprentissage pouvaient se montrer contreproductif. Dans l'exemple proposé, un individu recevant un message d’ordre auditif ou d’ordre visuel uniquement apprendrait moins bien qu’un individu qui recevait les deux stimuli simultanément. Il est alors démontré qu’une zone cérébrale bien spécifique est stimulée lorsque différents canaux d’apprentissage sont proposés. A l'écoute de cette étude, on comprend que les styles d'apprentissage sont remis en cause et qu'ils se montrent même contreproductifs. Or, dans ma pratique, c'est cette connaissance des styles d'apprentissage qui, me semble-t-il, m'a permis de stimuler différemment les élèves. Un enseignant, non conscient de ces différentes façon d'apprendre, peut-il solliciter cette zone cérébrale promise ?

Cet écart de perception entre ce que vient nous apprendre la science et ce que je vois sur le terrain m’interpelle et me conduit à m’interroger sur la réalité de ma pratique ainsi que sur son efficacité. Une partie de la réponse vient de la différence même de nos métiers et une solution est à trouver à la lumière de nos différentes spécialités. 

Afin de mettre en œuvre une pratique éclairée, réfléchie, il est donc important de nuancer chaque partie. C’est pourquoi, avant d’étudier les apports que nous offrent les neurosciences, je me penche dans un premier temps du côté des sciences de l’éducation.


Les trois pôles de la pédagogie (Meirieu, 2019 - Goigoux, 2018)

Philippe Meirieu voit en la pédagogie la réunion de trois pôles (pour plus d’informations, lire ceci) : 
  • Un axe psychologique et politique qui s’articule autour des finalités de l'enseignement, des valeurs.
  • Un axe scientifique, où l’on retrouve aujourd’hui les neurosciences, qui apporte des connaissances, expérimentations à l’appui, sur la manière dont le sujet apprend de façon efficace.
  • Un axe portant sur les outils et les méthodes, en d’autres termes, l’art d’intervenir.
D'après Philippe Meirieu, la pédagogie trouve alors sa réponse en un point qui associe valeurs, faits et outils.

  • Se passer des valeurs reviendrait à se passer du pourquoi, des finalités, de la question « que voulons nous que nos élèves deviennent ? ». 
  • Se passer des connaissances sur la façon qu’un sujet a d’apprendre reviendrait à enseigner selon des convictions dont l’efficacité et la pertinence ne veulent pas être questionnées. 
  • Enfin, se passer des outils et méthodes reviendrait à donner des prescriptions sans se soucier du comment, de l’expertise des enseignants qui interviennent sur le terrain. Ce serait oublier que le sujet résiste (et il existe de très nombreux motifs de résistance) à notre tentative d’enseignement.

Roland Goigoux explique également qu’il existe trois domaines d’expertise pour l’enseignement, classés du plus éloigné de l’apprenant au plus proche :
  1. les neurosciences éclairant sur les processus d’apprentissage,
  2. les sciences du comportement (psychologie, sociologie, ...),
  3. la science de l’intervention (didactique, science de l’éducation).
Comme il l’explique par exemple dans l’article ci-joint, il n’est pas possible de passer d’un résultat expérimental (éloignée du terrain) à une prescription dans les classes, et donc de se passer de l’expertise d’intervention des enseignants. Les neurosciences sont donc en mesure de nous éclairer sur les pratiques efficaces dans le processus d’apprentissage mais ne suffisent pas pour être prescriptives sur le terrain. Toute connaissance sur le processus d'apprentissage doit être associée à une méthode d'enseignement.

A l'inverse, quand on opte pour une méthode d'enseignement, il est important d'avoir en tête les processus d'apprentissage productifs.


Ce qui pose problème avec les intelligences multiples

L'idée selon laquelle tous les élèves peuvent réussir, qu'ils ont juste un processus d'apprentissage bien à eux ne peut que trouver un écho favorable. C'est une théorie positive. C'est le moyen de se dire que chaque élève est un apprenant qui peut réussir, le tout est de parler le bon langage. Cette idée semble juste socialement. Mais cela peut soutenir également l'idée que si l'élève ne réussit pas, c'est de la faute de l'enseignant qui n'a pas réussi à avoir la bonne méthode. On adoptant ce procédé, nous sommes amenés à mettre en place une différenciation dans nos apprentissages. Mais cette différenciation ne peut aller jusqu'à un individualisme excessif.

Cette théorie des IM conduit donc à distinguer différentes formes d'apprentissage et à associer pour chacun un modèle d'enseignement bien spécifique. Or, la recherche n'a pas permis de prouver qu'il existait une zone cérébrale bien isolée pour chaque type "d'intelligence". Egalement, elle a montré (à l'exception peut-être de deux formes d'intelligence proposées par Gardner) qu'il existait un lien entre les différents processus d'apprentissage : un élève qui réussissait bien un test proposé sous une forme "d'intelligence A" avait de très grandes chances de réussir un test présenté sous forme B, C, D, ...

Si la justesse des fondements de nombreuses pédagogies est remise en question par les neurosciences, elles ont tout de même pu trouver un écho très favorable auprès du public, enseignants y compris. Cet attrait a donc pu évoluer en un modèle commercial efficace, c'est le cas en Amérique du nord avec les intelligences multiples où la vente de tests pour déterminer un modèle d'appartenance bien spécifique a vu le jour. Grâce à ça, il est possible de vendre un programme d'enseignement "adapté" à chacun. Or, les études scientifiques nous montrent qu'isoler un style d'apprentissage n'est pas extrêmement pertinent et parfois même contreproductif.

Quand on se lance dans une pédagogie spécifique quelle qu'elle soit, il est donc primordial de faire un va-et-vient perpétuel entre la méthode d'apprentissage que l'on souhaite engager et nos connaissances sur la façon dont les élèves ont d'apprendre. Est-ce que ce procédé est efficace avec les élèves ? Quand on n'interroge pas l'un à la lumière de l'autre, quand on n'associe pas le comment et le pourquoi, il est souvent possible que l'on se perde dans une pratique peu efficace sur le terrain.

La dérive commerciale d'une pédagogie s'appuie sur l'attrait d'une méthode d'enseignement. Mais elle peut aussi s'appuyer sur des connaissances scientifiques erronées. C'est donc le cas, en certains lieux, avec les IM. C'est le cas également avec d'autres formes de pédagogies, comme par exemple avec la méthode Montessori quand on voit le nombre de produits qui inondent les rayons des activités pour enfant. Il est toujours nécessaire de s'interroger sur les finalités de l'enseignement et sur les conditions exactes de l'apprentissage des élèves.

L'usage de la théorie des styles d'apprentissage m'avait pourtant semblé assez efficace sur certains points de vue. Y a-t-il des conditions requises ?


Pour plus d'informations sur l'apport des neurosciences, lire "L'innovation pédagogique" et "Les neurosciences en éducation" chez Retz, dans la collection Mythes et réalités, écrits sous la direction d'André Tricot.



Les + de la théorie des styles d’apprentissage 

Après quelques années de pratique, j'ai la sensation de mieux comprendre le fonctionnement de mes élèves, de mieux repérer leurs difficultés. La recherche nous explique qu'il est préférable de parler de préférence d'apprentissage plutôt que de style d'apprentissage ou de type d'intelligence, car s'il n'est pas avéré que l'on apprend mieux si l'on prépare une méthode d'enseignement spécifique à un style d'apprentissage, chaque apprenant peut avoir une préférence pour la mise en mémoire. Différencier son approche peut donc trouver un écho favorable chez les élèves.

Varier les apprentissages permet d'observer différentes réactions chez les élèves et ainsi de mieux les comprendre. Mieux les comprendre est un cadeau pour l'enseignant. C'est le moyen de ne pas s'arracher les cheveux quand un blocage fait face, le moyen de ne pas abdiquer avec un élève : "oh tant pis, il retiendra ce qu'il peut. J'ai fait le max ..."

Les différents styles d'apprentissages leur permettent de comprendre qu'ils sont tous différents les uns des autres, et ce n'est pas rien. Cela permet de renforcer l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. Un style d'apprentissage qui convient à la préférence d'un élève lui permettra d'améliorer son engagement. Et nous savons que nous pourrons enseigner autant que nous voudrons, l'apprentissage ne se fera qu'avec un engagement important de l'apprenant.

Les styles d'apprentissage ont donc un rôle "social" non négligeable même si les neurosciences viennent nuancer leurs fondements. Il n'empêche que bien utilisés, la recherche montre que cette connaissance sur les différentes modalités d'enseignement peut s'avérer très efficace.


Vers une pratique réfléchie

Cette remise en question de la théorie des styles d'apprentissage m'a donc rendu perplexe. Rester sur mes positions quand la recherche montre les limites de la pratique serait faire preuve d'une incapacité à prendre du recule sur ma pratique. Ce serait enseigner sur des convictions qui ne veulent pas être mises à jour. Ma pratique terrain me donne pourtant la sensation d'une relative efficacité de mon enseignement. 

Ce qui fonctionne en réalité c'est l'emploi successif, ou simultané, de différentes modalités d'apprentissage. C'est bien parce que l'on est soucieux de la manière dont chaque élève a d'apprendre que l'on obtient, par différentes modalités, une meilleure compréhension. Il ne s'agit pas d'enfermer les apprenants dans une catégorie hermétique mais de comprendre que chaque élève a un certain degré d'appartenance à chaque forme d'apprentissage, que ce degré varie, qu'il y a des passerelles entre les différentes sensibilités.

Les diagrammes que j'ai essayé de construire (et qui ne sont en rrrrrien scientifiques) me permettent de mieux comprendre les préférences d'apprentissage de mes élèves. Ils évoluent au fil des mois et de ma capacité à mieux les cerner. Et c'est en leur soumettant des formes variées d'apprentissage que j'apprends à les connaitre, à observer leurs résistances.



Par cette démarche, nous n'allons pas vers une individualisation infinie de notre enseignement. Ce serait un travail titanesque et sans fin. Mais sans nous en apercevoir vraiment, nous faisons attention à la variété des modalités d'enseignement. Nous mettons en oeuvre un enseignement multimodale qui, lui, est reconnu comme efficace par les neurosciences.


ATTENTION
Mettre en oeuvre des situations variées d'apprentissage, répondant aux différentes préférences des élèves (logicomathématiques, visuelles, musicales, kinesthésiques, ...) ne doit pas être un simple gadget où le support varie. Il faut toujours avoir en tête quelques points :

  • Le support d'apprentissage n'est pas le but mais le moyen. Il ne doit pas cacher l'objectif d'apprentissage. L'enseignant doit toujours expliciter le but du travail engagé, sa finalité. L'élève ne parvient pas forcément à découvrir par lui-même l'objet d'apprentissage. C'est pourquoi l'enseignant à un rôle primordial dans cette prise de conscience.
  • Quand nous faisons manipuler les élèves, répondant à un besoin kinesthésique, nous  lui permettons de comprendre ce qu'il fait et pourquoi il le fait. Mais si nous voulons qu'il comprenne une notion, il est important de mettre à distance l'objet manipulé (qui peut cependant rester visible pour l'élève) afin qu'il mette en oeuvre un travail cognitif

La multiplicité des modalités d'apprentissage doit être le moyen de stimuler la compréhension, des élèves. Elle ne doit pas le perdre dans un jeu qui masquerait les enjeux d'apprentissage. L'enseignant doit donc guider les élèves et toujours mettre en lumière les notions engagées par ce travail.


Le pourquoi et le comment ?

En conclusion, je dirais que nous avons tous des convictions et des préférences dans la façon que nous voulons faire classe. Certaines méthodes d'enseignement semblent nous attirer, peut-être qu'elles nous correspondent. Pour d'autres, c'est la mise en avant des neurosciences qui est une mine d'or passionnante. Il me semble important de prendre connaissance des différents univers qui font partie intégrante de notre pédagogie, d'associer la connaissance sur les processus d'apprentissage aux méthodes d'enseignement. La diversité de ces connaissances sans cesse mises à jour permet alors de mieux nous guider afin d'éviter les écueils de nos pratiques.







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