lundi 7 février 2022

Oral - Les chevaliers de la table ronde

 

Je reviens à la charge avec l'oral et les ateliers à visée philosophique. Voici les documents utiles pour ce travail :

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Vous connaissez peut-être "Le Feuilleton d'Hermès". J'ai déjà fait un article avec ce support. Il existe également des suites : feuilleton de Thésée, d'Artemis, d'Ulysse.

C'est toujours sympa de changer d'année en année car on peut vite se lasser. J'ai donc changé de lectures. Aujourd'hui, je travaille avec "L'épopée des chevaliers de la table ronde" de Sophie Lamoureux. Le thème est alors idéal puisque après avoir fait 15 à 20 minutes de lecture magistrale (il existe 3 tomes de 50 épisodes chacun), nous nous réunissons en cercle pour nos séances de "la table ronde".

Après plusieurs années à passer de longues séquences sur l'oral avec mes élèves de CM1, j'ai eu l'occasion de travailler sur les conditions pédagogiques du débat à mettre en oeuvre pour l'écriture de mon mémoire du Cafipemf. Le changement de niveau et d'école (CE1/CE2) était alors pour moi l'occasion de transférer ces notions sur un nouveau niveau.


Les conditions (développées plus loin) : 

      1. Le nourrissage
      2. Un créneau hebdomadaire
      3. Un sujet qui fait débat
      4. Un cadre sécurisant

Il faut l'avouer : je me suis royalement planté vu que je n'ai suivi aucune de mes propres prérogatives. Ce fut donc une expérience très instructive sur la difficulté à développer les compétences orales chez les élèves.

Le niveau initial à l'oral est faible, naturellement, si ce type de travail n'a jamais été mené auparavant. Il est vrai que je venais de laisser des "presque CM2" ayant fait une ou deux années de débats, et que je retrouvais des "anciens CP". Les premières séances étaient un peu déroutantes. Il faut vraiment laisser du temps pour commencer à entrevoir des premières séances agréables. 

Il n'y avait pas forcément de débat. Je n'avais pas toujours pris le temps de réfléchir aux thématiques abordées. Parfois, tout le monde était d'accord et les discussions n'avançaient pas. 

Les lectures faites n'engageaient pas suffisamment les discussions. Les textes que j'avais initialement choisis étaient trop courts et abordaient des idées souvent trop implicites pour être reprises par les élèves.

Surtout, les séances n'étaient pas assez régulières. La séance d'oral sautait souvent si je n'avais pas fini un travail dans une autre matière. Il était difficile de réinvestir les acquis de la séance précédente, celle-ci étant trop éloignée.


Voici donc quelques éléments qui pourront vous servir pour travailler l'oral en classe :


Constat de départ

  • L'oral est une des quatre grandes compétences du français dans les programmes, mais il est "un parent pauvre de l'enseignement" (Joaquim Dolz & Bernard Schneuwly, 2016).
  • "Les classes sont devenues bavardes" (Elisabeth Bautier, 2016) mais si on utilise l'oral comme un support pour les autres disciplines sans le travailler signifie qu'on externalise l'apprentissage des compétences langagières à d'autres personnes.
  • Il faut donc "créer un rapport conscient et volontaire au langage" (Joaquim Dolz & Bernard Schneuwly, 2016).
  • Sur Eduscol, on a pu lire qu'il était "difficile de déterminer des étapes distinctes" et qu'il fallait "rechercher une progressivité". C'est ce que j'essaye de vous proposer.

C'est quoi débattre ?

  • "Discussion sur une question controversée entre plusieurs partenaires qui essaient de modifier les opinions ou les attitudes d'un auditoire" (Joaquim Dolz & Bernard Schneuwly, 2016).
  • "Par le débat, les apprenants confrontent leurs représentations, les mettent à l'épreuve des hypothèses et des arguments" (Tozzi, 2016).
  • Le langage se co-construit avec ses camarades, il est polygéré. Sylvie Plane appelle cela "le tressage du fil conversationnel". "L'autre est un interlocuteur valable" (Jacques Lévine, 2018), "une personne ressource pour approfondir ma pensée" (Tozzi, 2019). Quand un camarade exprime des arguments, je suis obligé d'affiner ma pensée.
  • Grâce aux arguments des autres, arguments auquel il n'avait pas pensé, le discours de l'élève se fait et se défait, s'affine au fil des interventions.
  • Un désaccord peut perdurer à la fin du débat si aucune solution commune n'est trouvée. Dans tous les cas, les élèves auront tenté de convaincre leurs camarades.

Des enjeux citoyens
  • Pour que l'élève s'engage dans ce travail, il doit donc accepter de dévoiler une partie de lui, faire part de sa pensée. C'est pourquoi il doit apprendre régulièrement à donner son avis sans que celui-ci fasse l'objet d'un jugement : donner son avis sur une oeuvre d'art, sur ce qu'il aime, ...
  • L'élève doit alors apprendre à se montrer suffisamment fort pour opposer ses arguments à ceux de ses camarades. S'il n'est pas en moyen d'affirmer sa pensée, il "renoncerait, à son insu, à sa propre identité citoyenne" (Tozzi). 

Quel débat ?

  • Débat délibératif : il y a des divergences mais on doit aboutir sur une décision.
  • Discussion à visée philosophique : met l'accent sur la construction d'une pensée.
  • Débat argumentatif (ou débat régulé) : discussion animée par une personne qui assure le respect des règles établies.
  • Débat mouvant : ici les élèves font un débat argumentatif : une demi-classe participe pendant que l'autre groupe observe. La différence tient dans les déplacements de chaque élève. Selon leur accord avec l'un ou l'autre des deux camps, ils se déplacent d'un côté ou de l'autre de l'espace de travail. Ainsi, leur corps entier est impliqué. Ceux qui argumentent voient les effets de leur prise de parole (voir dossier).

En classe, il ne suffit pas de se contenter d'un seul type de débat. Les élèves doivent être confrontés à différentes situations et chacune de ces propositions apporte son lot d'apprentissage. Une progression pourra donc être établie (cf. proposition de programmation).


Enseigner l'oral

  • Un écueil à repérer : "l'illusion de la participation" (Claudine Garcia-Debanc, 1999). Une erreur serait de classer  les compétences langagières des élèves en deux catégories : les grands parleurs et les petits parleurs. Cette distinction ne juge en fait que l'inhibition des élèves. C'est oublier qu'avant de parler, un langage interne se met en place (une pensée), et qu'il ne le verbalisera pas forcément. Un élève qui serait dans la prise de parole-pulsion, sans mise en place d'une réflexion serait considéré comme élève en réussite dans une catégorisation "grand parleur - petit parleur".
  • Il est donc important de repérer des critères de réussite. Voici la progression que j'utilise en terme de compétence des élèves :
    1. Ecouter
    2. Argumenter
    3. Se décentrer
    4. Avoir l'esprit critique
    5. Problématiser
    6. Conceptualiser
Pour repérer le cheminement des élèves dans cette progression, il est possible d'utiliser la grille d'observation jointe.
  • Se détacher de la norme de l'écrit pour l'évaluation. On n'évalue pas forcément l'élève sur sa syntaxe. Dans pareil cas, un élève qui tâtonne, qui cherche ses mots serait pénalisé alors qu'il s'agit d'une construction (Bautier, 2016) en temps réel d'un discours, et donc la construction d'un langage oral.
Une fois ces habiletés repérées, il est nécessaire de mettre en place des conditions pédagogiques qui vont favoriser les apprentissages.

Conditions pédagogiques

  • Le nourrissage : 
Je fais exprès d'employer ce mot de première apparence pas terrible. Mais à leur âge, nos élèves n'ont pas encore accumulé suffisamment de connaissances sur la vie et les relations humaines. Il est parfois difficile pour eux de s'engager dans une discussion. Il faut avoir des arguments et donc des éléments sur lesquels s'appuyer pour entrer plus facilement dans une discussion. Aussi, ce "nourrissage" passe par une lecture préalable de 15 à 20 minutes avant chaque discussion.

Avant un débat, une lecture documentaire sera également pertinente.

L'utilisation de textes fondamentaux, fondateurs de notre société (contes, mythologie, textes chevaleresques, ...), permet d'engager plus facilement les élèves. Il donne un cadre spatio-temporel suffisamment éloigné de l'élève qui lui permet de ne pas se sentir parasité par des considérations personnelles. Mais en même temps, ces histoires font écho à des situations que l'on peut rencontrer. Voir à ce sujet l'article sur le travail de Serge Boimare.

  • Un créneau pour l'oral régulier, hebdomadaire :
Si l'on doit considérer que l'oral s'apprend et qu'il est un domaine à part entière au même titre que l'étude de la langue, l'écriture ou le calcul, alors on doit lui accorder une séance attitrée chaque semaine pour mettre en place une dynamique de travail et de progrès.

Trois éléments super importants qui vous incitent à travailler l'oral chaque semaine :
  1. Les élèves prennent davantage conscience que c'est un domaine qui se travaille. 
  2. Il est plus facile de réinvestir les acquis des séances précédentes, et donc de construire une progression.
  3. Il est possible de lier ce travail sur l'oral avec d'autres domaines : la lecture évidemment, le lexique, l'écriture et même l'orthographe si l'on veut utiliser les textes supports pour ses futures dictées.

  • Le thème du débat : de la controverse !
Il est possible de donner un thème au début du débat. "Aujourd'hui, nous allons parler de la justice". Selon le niveau de votre classe, le thème sera à expliciter davantage. Avec des CM, il est possible de ne donner qu'un énoncé très réduit pour son débat. La réflexion reste ouverte pour eux. Mais attention, certains pourront avoir du mal à s'y engager. Pour eux, et pour les élèves plus jeunes, les CE par exemple, il est plus intéressant de poser une question en guise de thème. Cette question pourra reprendre le thème de la justice pour rester autour de notre premier exemple.

Mais attention, dans tous les cas, il est nécessaire de trouver un thème qui fasse débat. Rien de pire pour flinguer une séance qu'une discussion où tout le monde est d'accord sur tout. Il n'y a pas débat ! 

Option possible :  ne pas énoncer de thème mais demander l'avis sur le chapitre qui vient d'être lu. Un premier tour pourra consister en un résumé co-construit par le groupe d'élève. Progressivement, un sujet pourra émerger au fil des prises de paroles. L'enseignant, quand c'est à son tour de parler, pourra verbaliser cette question qui surgit afin que les élèves s'en saisissent plus facilement. Il s'agira d'une question qui pourra trouver des avis divergents.

  • Un cadre sécurisant :
Engager chacun à s'exprimer en toute sécurité, sans crainte du jugement. Au fur et à mesure, expliciter les critères de réussite.



Organisation des séances de la Table ronde

La séance peut être tronquée selon ce que vous souhaitez mettre en place : un projet complet pour le "'dire, lire, écrire" ou juste une partie. Pour un menu XL, j'utilise les quatre phases suivantes :

  1. Phase de lecture individuelle sur le début du chapitre : travail de compréhension puis 
  2. lecture magistrale
  3. Phase de lecture magistrale


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1. Lecture individuelle
  • Lecture individuelle et silencieuse de la première page/partie du chapitre.
  • Lexique : chaque élève surligne quelques mots qu'il ne comprend pas dans le texte. Echange sur le lexique inconnu. Lire la phrase en essayant de remplacer ce mot par un autre mot et voir si le sens paraît être correct. Après quelques propositions, validation collective et par l'enseignant. Retenir 2/3 mots pour l'exercice Lexique imposé en écriture.
  • Résumer cette première partie. Un élève débute puis d'autres complètent/corrigent à tour de rôle.
  • Imaginer la suite du chapitre : imaginer la suite d'une histoire est une étape importante pour la bonne compréhension en lecture. Il est nécessaire de bien comprendre les différents constituants de l'histoire. Les élèves feront un premier débat interprétatif, se corrigeront si la proposition n'est pas possible compte tenu de ce qu'on a déjà lu.
2. Lecture magistrale
  • Lecture magistrale du chapitre dans son intégralité durant 15 à 20 minutes.

3. La table ronde

Demi-classe : pas plus de 15 à participer à une discussion à visée philosophique afin que le bâton de parole revienne suffisamment de fois. Le second groupe est observateur et interviendra pour commenter les échanges à la fin.
  • Comment débuter premier tour de parole ? L'enseignant, qui est dans le cercle lors des premières séances, engage les élèves à dire ce qu'ils ont pensé de ce chapitre. Il pourra s'agir d'un tour où les élèves résument les principaux moments du chapitre. Il est aussi possible de poser une "question controversée" avant d'entamer la discussion. Pour les CM, on peut envisager de donner simplement le thème de la discussion. Il conviendra de le donner avant cet atelier de la table ronde afin de leur permettre d'y réfléchir et de rassembler leurs idées sur un écrit par exemple (cahier du philosophe).
  • Quand le bâton de parole revient à l'enseignant, il résume ce qui a été dit par le groupe en prenant soin de donner des arguments qui peuvent être divergents (certaines pensent que ...). Après ce premier tour, un questionnement aura pu émerger. Si l'enseignant n'a pas posé la problématique en début de séance, il fait émerger la question qui est ressortie de ce premier tour et engage les élèves à y répondre.
  • Reformuler la pensée collective à la fin de chaque tour, recentrer si besoin, et faire repartir le bâton. 
  • Mettre fin au débat après 3/4 tours. 
  • Demander à ceux qui ont gardé le silence pourquoi ils n'ont pas parlé. Toutes les réponses sont acceptées.
  • Les observateurs commentent les échanges qu'ils ont écoutés. Ils indiquent ce qu'ils ont aimé et expliquent pourquoi.
  • Retour de l'enseignant : l'enseignant peut mettre en avant certaines réussites de la discussion, réussites sur la forme. Cela peut être les marques d'accord, de désaccord, le vocabulaire et les formules syntaxiques employées pour cela, ... On pourra s'en servir à nouveau la prochaine fois. Indiquer également ce qui a moins fonctionné et expliquer pourquoi afin de s'en servir pour la prochaine séance.

4. Trace écrite
  • Sur la forme : selon le niveau des élèves, il est possible de donner/préparer une trace écrite sur ce que l'on a appris à faire en discutant avec ses camarades. Il pourra être nécessaire de passer plusieurs séances pour travailler sur une même compétence.
  • Sur le fond : selon le niveau des élèves, il est possible d'écrire quelques lignes sur cette pensée collective co-construite durant la séance (cahier du philosophe). Ecrire la question puis y répondre en présentant les avis divergents. Après ces quelques lignes, chaque élève peut en rajouter des plus personnelles : "pour ma part, je pense que ..."

5. Ecriture : le lexique imposé
  • Noter les trois mots du chapitre à apprendre dans un coin du tableau. Ils vont y rester plusieurs jours. Faire un jeu : le maitre contre les élèves. A chaque fois qu'un élève (qui a demandé la parole) utilise un de ces mots correctement dans une phrase, les élèves marquent un point. Si c'est l'enseignant qui en emploie un, c'est lui qui marque un point. A la fin de la semaine, faire le décompte de points pour voir qui a gagné.
  • Jogging d'écriture : écrire un texte en utilisant chacun des mots de la semaine. On réinvesti ainsi le lexique et on vérifié si celui-ci a bien été compris.




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